Lettre ouverte à Romain Dominique Ibanez, Rédacteur en chef, Directeur de Création et Directeur Mode du magasine UP STREET
Cher Romain Dominique Ibanez,
Avant que vous ne lisiez ma lettre dans sa totalité, j'aimerais vous faire part des raisons qui ont motivé son écriture. Non, je ne suis ni réac', ni jaloux ni même prétentieux mais j'ai au fond de moi l'immense envie de vous communiquer mes pensées. Ainsi, j'aimerais m'excuser par avance pour la tonalité un brin excessive, voir même agressive de ce courrier et vous rappeler, bien entendu, que je n'ai pas la prétention de parler pour tout le monde: je ne représente personne d'autre que moi-même. Lorsqu'il est question de magasines, je perds toute ma pudeur et c'est cette raison pour laquelle cette lettre est ouverte: je veux que tout le monde puisse la lire.
J'aime la mode. Masculine. Sous toutes ses formes: classique, sage, effrontée, sale, propre, éternelle, discrète, flamboyante, amusante, excentrique, intemporelle, figée, dérangeante, sensuelle, sexuelle. En France, contrairement aux États Unis ou même à d'autres pays d'Europe, nous ne célébrons pas la mode masculine sauf, paradoxalement, peut être dans certaines colonnes de magasines féminins. Bien entendu, je lis le Vogue International, version masculine du Vogue tout court mais qui ne sort que deux fois par an et dont le Rédacteur en chef, que Dieu me pardonne, a plutôt le look d'un employé déprimé de France Telecom que celui d'un Rédacteur en chef du magasine de mode masculine numéro 1 en France. UpStreet coûte un euro. C'est peu. Mais en même temps, c'est tout ce qu'il faut et je trouve le prix très juste quant au contenu du magasine.
C'est ça mon grand problème à moi, le contenu! C'est comme la drague: à quoi bon draguer une bombe sexuelle si elle est vide ? Physiquement, l'attirance, c'est bien, mais, intérieurement, ce qui peuple la cervelle et l'âme des individus, c'est encore mieux. J'applique donc ma théorie de la drague à ma théorie du magasine de mode: si au delà d'un aspect esthétique, il n'y a rien d'autre, alors c'est qu'il y a un problème. Et le pire, c'est qu'on dirait que le papier glacé à fini par refroidir la rédaction même de Up Street et c'est déplorable. Dans l'univers des clichés, la mode est perçue comme un milieu froid, snob et prétentieux et j'aurais aimé qu'un journal, qui, par ailleurs, est localisé à Londres, démolisse ces stéréotypes et nous offre une mode vivante, chaleureuse et surtout authentique.
Au départ, je voulais vous parler de « petite étincelle » que je cherchais dans votre magasine, mais, finalement, je préfère ne pas m'attarder sur ce détail. Je ne m'attaque pas à vous pour me soulager d'une journée de travail particulièrement harrassante ou parce que je cherche à résoudre de quelconques problèmes existentiels mais parce que je remonte à la source de la mode masculine contemporaine : la presse spécialisée. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que j'en suis énormément déçu.
Aujourd'hui, de nombreux magasines masculins existent: de FHM à H, en passant par Men's Health, nos kiosques ont de quoi nous divertir et parfois même nous faire rêver. Seulement, autant être clair dès le départ: Up Street joue dans une autre cour, celle des magasines de mode. J'aurai pu disserter sur les magasines cités précédemment, seulement, je n'accorde que très peu de crédit à des revues qui placent le sexe, les produits high tech et les magasins Célio comme références. Pourtant, en terme de mode, j'ai bien peur que la comparaison ait lieu d'être. Et oui. Car, en feuilletant votre magasine, la mode, si j'ai bien saisi, se résume à une suite de publicités pour parfums et quelques pages extraites d'un shooting avec un mannequin aussi vivant qu'expressif. C'est donc devenu ça la mode en général, et la mode masculine en particulier ? Vos lecteurs n'ont ils pas le droit à des articles (j'entends par là un dossier avec des illustrations, pas de gigantesques double pages avec des commentaires à hauteur de 100 mots par photo) qui traitent de ce qui fait la mode, c'est à dire tout ce qui se passe en coulisse, chez les créateurs, au cœur de la création et de la tendance ? Parce que je suis navré de constater que les articles qui occupent le plus de place, à la fois en couverture et au cœur de Up Street, sont les articles qui sont consacrés à des groupes de musique underground, des galeries d'art ou encore des labels. Est-ce réellement nécessaire ? Je n'ai absolument rien contre ces types de sujets (on pourrait même intégrer une rubrique « rencontres coquines entre libertins de Picardie », ça ne me dérangerait pas plus.), seulement, de là à en faire les sujets prédominants...
Dans le même genre, je suis tout aussi navré de constater que nous n'avons pas le droit à une rubrique beauté car, qu'on l'admette ou qu'on le nie, une chose est sûre: l'homme moderne est beau et tient à le rester. Je ne m'attends pas à une rubrique de conseils dispensés par un maquilleur androgyne mais un minimum... J'ai presque cru trouver cette rubrique dans le dernier numéro, le 78, mais non... J'ai lu deux minuscules articles, aussi denses et profonds qu'un mode d'emploi de dentifrice sur les produits de la gamme Clinique Skin et Shiseido Men coincés entre quelques pages de publicité intempestive. J'ai presque éprouvé du plaisir car, politique publicitaire du magasine oblige, à part apprendre l'existence de certains produits de soin dédiés aux hommes, je n'ai rien appris de génial, au sens premier. Rien sur la composition, rien sur les effets, les conséquences, rien. A la limite, je pense qu'il aurait fallu écrire juste "ACHETEZ LES PRODUITS DE LA GAMME SHISEIDO MEN, ILS SONT FABULEUX! " plutôt que d'écrire quelques lignes sans consistance ni même intérêt, qui, au final, donnent l'impression que vous faites de la publicité pour des produits que vous ne connaissez même pas, juste parce que la pub rapporte. C'est là ce que j'ai trouvé déplorable pour le peu d'articles de cette "rubrique fantôme".
A ce stade de ma lettre, j'aimerais que vous compreniez que mon but n'est ni de vous briser, ni d'avoir la prétention de vous apporter des pistes d'amélioration mais, contrairement aux magasines cités précédemment, il me semblait que tout était possible. Nos sociétés sont en constante évolution, nous nous posons énormément de questions car nous avons pour habitude, en occident, d'anticiper les changements. Et, j'ai la naïveté de croire qu'après la libération de la femme vient la la libération de l'homme, trop coincé entre le conventionnel et le traditionnel et la Mode, elle, est l'une des protagonistes de cette libération. Regardez les créateurs: Heidi Slimane, Galliano, Lagarfeld... tous cherchent à définir et même à redéfinir cet homme moderne pour lui permettre d'avancer. Il faut donc que la presse suive. Et c'est là que s'achève ma lettre.
A.D